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Dans la commune de Fonds-rouge, les temps sont durs. La misère est criante. La terre est épuisée par des déboisements hâtifs, et la sécheresse fait rage, et d’elle découle la pauvreté, les habitants étant dépendants des fruits de la terre pour subsister. L’auteur relate des haines existent également entre différentes familles de la commune. Manuel, le personnage principal du roman revient après 15 ans d’absence, en Haïti, sa terre natale. Son séjour dans les plantations de canne à sucre à Cuba, lui a permis d’observer les pratiques de l’agriculture moderne. Il a compris l’apport possible de l’irrigation. Ses idées révolutionnaires et communistes le poussent à l’action. Et il ne cesse de divulguer des messages d’amour et de paix. « La haine, la vengeance entre les habitants. L’eau sera perdue. Vous avez offert des sacrifices aux Loas, vous avez offert le sang de poules et des cabris pour faire tomber la pluie, ça n’a servi à rien. Parce que ce qui compte c’est le sacrifice de l’homme. C’est la sueur du nègre. Va trouver la réconciliation, la réconciliation pour que la vie recommence, pour que le jour se lève sur la rosée4 ». Le paradis perdu dont Manuel se souvient, la terre fertile que le coumbite, le travail collectif de la terre basé sur les notions de partage et d’entraide, permettait de cultiver harmonieusement, est à présent ravagée, déboisée, aride, et la rivalité entre les habitants a remplacé l’entente fraternelle d’antan. Manuel tombe amoureux d’Annaïse, une jeune paysanne rencontrée sur le chemin et appartenant au clan ennemi. Fort de son expérience cubaine, dont il a tiré une grande habileté rhétorique et pratique, il s’impose peu à peu en tant que chef naturel de la communauté des habitants de Fonds-Rouge, et se fait l’artisan infatigable de la réconciliation. Prospectant sans relâche dans les alentours, il trouve la source qui permettra d’alimenter en eau tout le village, mais Gervasien, l’un des habitants du clan adverse crispé sur une rancune ancestrale et opposé à la réconciliation par l’eau, le poignarde à la fin du roman. Malgré cette mort tragique, les paysans mettent en place le dispositif d’irrigation qu’il avait imaginé, et Manuel devient le héros du renouveau de la communauté, un héros écologique dont Annaïse, enceinte de lui, perpétuera l’esprit et la mémoire. 

Réels, mais envisagés de manière paradigmatique. Malgré l’absence de marqueurs temporels précis, la situation décrite – misère générale, difficultés de la vie en milieu rural, sécheresse, déboisement massif, pénuries alimentaires, exode – est caractéristique de la réalité haïtienne contemporaine

Manuel porte en lui plusieurs visage :


Manuel, le migrant. 
C’est un migrant de retour au pays natal et ce thème constitue un élément important de son identité. Il ne peut être un villageois comme les autres, car il porte en lui cet ailleurs qu’il a ramené dans ses bagages identitaires. Malgré sa critique sociale sévère envers Cuba, il garde de son expérience migratoire des savoirs-clés, et surtout une conscience critique qu’il met à profit dans la problématisation de la sécheresse. Cela explique pourquoi et comment les haïtiens qui sont dans la diaspora ne doivent pas abandonner Haïti, il faut participer à la construction d’une nouvelle nation par l’acquisition d’une nouvelle conscience grâce aux savoir-faire et aux expériences acquis à l’étranger.


Manuel, le scientifique. 
Homme de terrain, Il avait voulu se rendre compte : eh bien, il savait maintenant, il mobilise ses connaissances et les malangas, c’est une plante qui vient de compagnie avec l’eau et continue à apprendre Un courant de fraîcheur circulait et c’était peut-être pourquoi les plantes volubiles et désordonnées poussaient si drues et serrées. Il n’aborde pas la misère comme une calamité des dieux, mais comme une résultante de l’action humaine qu’il faut comprendre pour mieux la résoudre : Le bon Dieu n’a rien à voir là-dedans […] Il y a les affaires du ciel et il y a les affaires de la terre, ça fait deux et ce n’est pas la même. Il rejette les attributions causales externes, stables et incontrôlables pour adopter une posture pragmatique de recherche de son pouvoir d’action. Il refuse la soumission à une volonté divine : Mais la Providence, laisse-moi te dire, c’est le propre vouloir du nègre de ne pas accepter le malheur, de dompter chaque jour la mauvaise volonté de la terre.


Manuel, l’éducateur. 
Dans ses conversations avec les villageois, l’intention éducative de Manuel est manifeste ; il veut montrer, décrire, expliquer, faire comprendre, faire réfléchir, notamment avec son ami Laurélien : Dans le retrait le plus inarticulé de son esprit accoutumé à la lenteur et à la patience, là où les idées de résignation et de soumission s’étaient formées avec une rigidité traditionnelle et fatale, un rideau de lumière commençait à se lever. Sa mère perçoit la vérité de ses paroles : Tu as la langue habile et tu as voyagé dans les pays étrangers. Tu as appris des choses qui dépassent mon entendement. Mais elle ressent le besoin de le mettre en garde : Tes paroles ressemblent à la vérité et la vérité est peut-être un péché. Annaïse admire la profondeur de ses paroles : C’est comme pour l’eau, il faut fouiller profond dans tes paroles pour trouver leur sens […] Jésus-Marie la Vierge, comme tu es savant, et toutes ces idées, elles viennent de ta tête ?.


Manuel, le personnage Messianique. 
La personnalité de Manuel présente un caractère au-delà de l’humain, quasi biblique, à la fois Adam, Moïse et Jésus. Il est à noter que le prénom Manuel est le diminutif d’Emmanuel ; celui-ci dérive de l’hébreu Immanu’el qui signifie « Dieu est avec nous ». Roumain, semble avoir voulu pousser son indigénisme jusqu’à proposer un récit cosmogonique universel dans la figure de simplicité et de sagesse d’un jeune paysan haïtien analphabète. En plus d’être Adam, l’incarnation de l’homme, Manuel conduit son village vers une sorte de Terre Promise à travers sa quête de l’eau ; ici, c’est l’identité du Moïse dont il se revêt. Le dénouement final, sa mort dans les bras de sa mère, n’est pas sans rappeler le rituel sacrificiel chrétien, la mort de Jésus, le sauveur. Ici, l’écrivain Roumain voudrait pousser chaque jeune haïtien à croire qu’il est messie pour Haïti. Roumain était communiste et dans l’univers communiste, les analogies avec les récits messianiques étaient courantes.


Manuel, l’agent de transformation sociale critique, éthique, politique et praxique. 
L’activisme de Manuel est politique au sens étymologique du terme, du grec « polis » ou cité ; tout ce qui concerne les affaires de la cité est d’ordre. Son s’enracine d’abord dans le local, comme lieu d’authenticité, de réappropriation créatrice […] d’innovation sociale et d’action. Le local se vit dans la solidarité de proximité : vivre ici, ensemble, entre nous ». Ce qu’il vise, c’est la transformation sociale du village, d’une pensée statique, résignée et théocratique en une pensée dynamique, critique et démocratique d’engagement civique, d’action collective. Ce que traduit très bien ces mots de Manuel : « Mais la terre, c’est une bataille jour pour jour, une bataille sans repos : défricher, planter, sarcler, arroser, jusqu’à la récolte, et alors tu vois ton champ mûr couché devant toi le matin, sous la rosée, et tu dis : moi, untel, gouverneur de la rosée, et l’orgueil entre dans ton cœur. Mais la terre est comme une bonne femme, à force de la maltraiter, elle se révolte : j’ai vu que vous avez déboisé les mornes. La terre est toute nue et sans protection. Ce sont les racines qui font amitié avec la terre et la retiennent : ce sont les manguiers, les bois de chênes, les acajous qui lui donnent les eaux des pluies pour sa grande soif et leur ombrage contre la chaleur de midi. C’est comme ça et pas autrement : sinon la pluie écorche la terre et le soleil l’échaude : il ne reste plus que les roches. Je dis vrai : ce n’est pas Dieu qui abandonne le nègre, c’est le nègre qui abandonne la terre et il reçoit sa punition : la sécheresse, la misère et la désolation. » « – Ce que nous sommes ? Si c’est une question, je vais te répondre : eh bien, nous sommes ce pays et il n’est rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui est-ce qui récolte ? Le café, le coton, le riz, la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres et tous les fruits, si ce n’est pas nous, qui les fera pousser ? Et avec ça nous sommes pauvres, c’est vrai, nous sommes malheureux, c’est vrai, nous sommes misérables, c’est vrai. Mais sais-tu pourquoi, frère ? À cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force : tous les habitants, tous les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d’un point à l’autre du pays et nous ferons l’assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle. »

Le Journal français Libération a commenté le roman avec ces mots :

« Jacques Roumain livre une parabole chatoyante sur la nécessité de lutter ensemble pour atteindre le bien commun. »

Ce qui manque cruellement à Haïti en ce moment.